Bien sûr on incline brièvement la tête sur le côté pour dire oui, on dodeline un peu plus longuement pour dire non. Mais observez un peu et vous remarquez d'autres gestes.
Au temple du Taureau à Bangalore, j'ai l'impression que chaque fidèle a un rituel personnel. Tel agite la main pour attirer vers son visage la fumée du cierge. Un autre fait tourner dans sa paume puis hume la tisane sacrée que le prêtre a versée. On frotte telle ou telle partie de la statue. Et cette femme fait interminablement des tours sur elle-même. Enfin, dans la cohue pour faire bénir les objets qu'on a apportés (fruits, fleurs, faire-part de mariage), les gestes subtils pour attirer l'attention d'un des prêtres, sans piétiner tout de même les gens autour de soi- nous sommes au temple. Je me demande si on reprend les faire-part ou s'ils restent ici, pour que les divinités se sachent invitées.
Les offrandes à consacrer, vous les avez achetées au tentaculaire marché aux fleurs souterrain, un hectare surpeuplé de logettes lugubres, mais riches de fleurs multicolores, et sentant bon les feuilles du géranium parfumé. Dans les passages d'entrée, sombres cavernes, les femmes enfilent prestement les dahlias en guirlande. Pour la vente, les fleurs sont pesées à toute vitesse. Les guirlandes, elles, se vendent au mètre. Elles sont lovées en spirale et le marchand déroule des longueurs. Quand la cliente l'arrête, il continue encore un peu. Comme à Toulouse on couperait la saucisse, il tranche la guirlande. Puis il la déroule à nouveau en sens inverse pour recompter. Cette fois, le geste du bras et du coude est métré, et les spectateurs scandent avec lui le compte des tours.
Autour du marché aux fleurs s'agglutinent les marchands de fruits et de légumes. Ce vendeur soutient d'urgence sa montagne de bouquets de coriandre, qui commence à se lézarder.
Toutes ces marchandises, ces légumes, ces cartons pliés, ces jouets, il faut les porter, sur l'épaule, sur la tête, en paniers, en brassées, en ballots lourds, lourds (même ceux de fleurs).
Impatient que son père paie le colporteur de glaces, ce petit garçon se hausse et sait déjà faire jouer le loquet qui ferme le compartiment isotherme.
Plus loin encore, dans les rues encombrées d'une foule inimaginable, qui coule comme de l'eau autour de quelques motos ou triporteurs obstinés, on vend des gamelles pantagruéliques, des textiles, des babioles. Les marchands de ceintures font claquer le cuir pour attirer votre attention.
Le mendiant que je croise sur le trottoir m'arrache un sursaut en faisant claquer la lourde tresse chargée de peinture écarlate qu'il fait danser comme la queue d'un diable.
A table, à la cantine de l'usine Volvo, cet ouvrier pressé malaxe en expert le riz et la sauce pour former des grosses boulettes qu'il enfourne sans que les doigts touchent sa bouche. Puis il se secoue sèchement la main pour faire tomber l'essentiel des grains qui sont restés collés, et recommencer.
Ici on fait à la main. Sur une table au fond du restaurant Palle Vindhu, rouler le pan dans des feuilles vertes et luisantes. Aux postes de garde des usines, tracer à la main la réglure du registre des entrées. Sur les murs, peindre à la main les réclames, même pour affirmer, en lettres jolies mais un peu de guingois: "Engineered for performance".
Même ne rien faire est un geste. Au temple, on choisit des costauds impassibles, drapés torse à-demi nu dans une toge blanche, pour tenir les plateaux où vous n'oserez pas ne pas déposer votre offrande.
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